A Cuba, le casse-tête des multiples monnaies

Des personnes font la queue devant une boulangerie à La Havane, le 8 mars 2024 à Cuba

By Rigoberto DIAZ

La Havane (AFP) - "Comment puis-je vous payer?": à Cuba, cette question est devenue récurrente dans les magasins, restaurants ou stations-service, alors que quatre monnaies coexistent dans le pays, fragilisant encore davantage une économie en crise.

"C'est compliqué, (il faut calculer) où je vais acheter, quel est le taux de change, si c'est intéressant pour moi de changer", explique à l'AFP Pedro Gonzalez, un ingénieur de 68 ans, retraité depuis 2020, mais qui a repris du service voyant ses pesos "s'évaporer comme de l'eau".

En 2021, le gouvernement communiste a mis en oeuvre une réforme monétaire unifiant les deux monnaies nationales circulant dans le pays : le peso cubain et le peso convertible aligné artificiellement sur le dollar et échangeable contre des devises. Il s'agissait de rendre plus attractive l'économie de l'île aux yeux des investisseurs étrangers.

Trois ans plus tard, à rebours de l'objectif affiché, ce sont quatre monnaies qui circulent : le peso cubain, fortement dévalué sur le marché informel, le dollar, l'euro et le MLC (monnaie librement convertible), une monnaie virtuelle lancée en 2019 par le gouvernement.

Cette monnaie, est abondée par des dollars sur une carte magnétique, mais ne peut pas être échangée dans les banques contre des liquidités.

L'existence de deux taux de change officiels, un pour les entreprises (24 pesos/1 dollar), l'autre pour les particuliers (120 pesos/1 dollar), sans compter le taux informel (environ 320 pesos/1 dollar), complexifie encore la situation.

\- Flambée de l'inflation -

Tout cela "fausse les prix" les uns par rapport aux autres, souligne auprès de l'AFP l'économiste cubain Pavel Vidal, professeur à l'Université Javeriana de Cali, en Colombie. "Aucune économie ne peut croître et se développer dans ces conditions monétaires et de taux de change", ajoute-t-il.

De fait, l'économie cubaine ne parvient pas à se relever depuis la pandémie. Les faiblesses de son système centralisé se sont aggravées, en même temps que s'est renforcé l'embargo américain, en vigueur depuis 1962. En 2023, le PIB s'est contracté de 2%, selon les chiffres officiels.

Si les distorsions monétaires affectent la compétitivité des entreprises et favorisent l'économie informelle, elles rendent aussi fastidieux le quotidien des Cubains contraints de jongler avec plusieurs monnaies du produit ou du service qu'ils veulent acquérir.

Et cela dans un contexte de dégringolade de leur pouvoir d'achat, avec une flambée de l'inflation dans le sillage de la réforme monétaire: 70% en 2021, 39% en 2022, 30% en 2023, selon des chiffres officiels.

Pedro Gonzalez explique que malgré sa retraite et son salaire, il ne s'en sortirait pas sans l'aide de son fils, émigré aux Etats-Unis et qui lui envoie des dollars. Il en dépose une partie sur sa carte MLC qui lui permet d'acheter dans les magasins d'Etat.

Il change ensuite d'autres dollars en pesos pour payer dans les petits commerces privés, autorisés depuis 2021, et qui proposent bien plus de produits, payables en pesos ou en devises. Mais à des prix exorbitants pour la très grande majorité des habitants de l'île, où le salaire moyen est de 4.200 pesos (35 dollars).

\- Pas assez de devises -

Dans un contexte de pénuries d'aliments et de médicaments, "il faut être très attentif à ces mécanismes" de taux de change, pour "profiter au maximum de son argent", ajoute le sexagénaire, alors que les Cubains ont longtemps été épargné par l'inflation dans un système d'économie socialiste.

Ana Valls, 80 ans, loue une chambre dans sa maison de La Havane et échange les pesos qu'elle reçoit contre des MLC sur sa carte. "C'est comme ça que nous nous en sortons", dit la retraitée devant un magasin d'Etat.

Dans les restaurants ou pensions, en particulier ceux destinés aux touristes, le dollar et l'euro côtoient le peso cubain sur la note, tandis que les entreprises privées, qui ont besoin de devises pour importer, ont fait flamber la demande sur le marché informel.

Elles ne peuvent pas toujours acquérir des devises sur le marché officiel qui en restreint l'accès, alors que le gouvernement en a lui-même besoin pour acheter de l'alimentation.

En décembre, le gouvernement a annoncé une prochaine "intervention" sur le marché des changes, dans le cadre d'un plan de relance qui comprend notamment l'augmentation de 400% du prix du carburant début mars.

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