La pionnière du profilage en France et son alter ego romanesque

La lieutenant-colonel de gendarmerie Marie-Laure Brunel-Dupin à Lyon, le 5 avril 2024

By Sophie PONS

Lyon (AFP) - Pour comprendre la "vraie vie" d'une profileuse, il faut lire les enquêtes de Mina Lacan: ce personnage, sous couvert de fiction, raconte la carrière de Marie-Laure Brunel-Dupin, lieutenante-colonelle de gendarmerie et pionnière en France de la crimino-psychologie.

Comme Mina, Marie-Laure rêvait, adolescente, de "dégommer les méchants". A 47 ans, c'est ce qu'elle s'emploie à faire à la tête de la Division des Affaires Non Élucidées (DiANE), une unité spécialisée qu'elle a créée en 2020 au sein du Pôle judiciaire de la gendarmerie nationale (PJGN).

"Ce qu'on avait envie de raconter, c'est la vraie vie et les vrais crimes... On montre ce qu'est ce métier pour de vrai", explique l'analyste comportementale qui a endossé l'uniforme il y a 22 ans.

"On", c'est le tandem qu'elle forme avec la journaliste Valérie Peponnet pour passer des procès verbaux au récit romanesque. Les fictions qu'elles bâtissent ensemble lui permettent d'expliquer et de "démystifier" son métier sans déroger à son devoir de réserve.

Comme Mina, Marie-Laure a su très jeune "ce qu'elle voulait devenir plus tard" grâce au "Silence des Agneaux", thriller américain où Clarice Starling, jeune analyste du FBI, affronte Hannibal Lecter, un tueur en série psychopathe.

"Son boulot, c'est de se mettre dans la tête du tueur. Mon boulot, c'est de me mettre dans la tête de celle qui se met dans la tête du tueur", explique sa co-autrice.

\- Boîte de nuit -

"Il n'y a pas eu besoin d'inventer grand-chose pour créer Mina: l'histoire de Marie-Laure, sa carrière, sont très romanesques", dit cette journaliste de métier. Bien sûr, le récit publié chez Black Lab ne dit pas tout, "ce n'est pas un mode d'emploi permettant aux criminels de déjouer le travail des enquêteurs".

Dans le livre comme dans la vie, le but est de "décortiquer les étapes du crime", relever les "traces psychologiques" laissées par les meurtriers, reconstruire le scénario du passage à l'acte, comprendre le fonctionnement mental pour mieux "profiler" les suspects, explique la lieutenante-colonelle.

Avant d'intégrer la gendarmerie, elle s'est forgée "un cursus à la carte": sept ans d'étude, avec maîtrise de droit, certificat de sciences criminelles de l'Université d'Assas, DU de criminologie appliquée à l'expertise mentale... "Le métier était si peu connu que quand j'ai demandé un prêt étudiant, le banquier croyait que je voulais devenir physionomiste de boîte de nuit", plaisante-t-elle.

Inspiré de ses débuts, le tome 1 raconte les premiers pas de la jeune recrue sous la férule d'un général autoritaire et sexiste, les codes rigides d'un corps très masculin, la boule de cristal posée sur son bureau.

Aujourd'hui, Marie-Laure Brunel-Dupin "est vraiment une gendarme: elle râle beaucoup, mais c'est sa famille, elle l'aime", souligne la journaliste qui se plie sans discuter au souci de vérité "hyper pointilleux" de sa comparse et s'emploie à "maquiller" les faits réels pour respecter l'obligation de secret.

\- "Magique" -

Le deuxième tome, "Serrer les dents", présenté lors du récent festival "quais du Polar" à Lyon, détaille les méthodes de profilage de l'enquêtrice, les relevés "carrés et scientifiques" sur une scène de crime, ses conseils pour pousser un suspect à l'aveu, les réactions de ses collègues - intérêt, curiosité, suspicion, condescendance ou mépris.

Dans ce monde parfois "macho", "être une femme avait aussi des avantages... moins de compétition, car moins de menace pour l'égo des enquêteurs", se souvient l'officier de gendarmerie qui revendique un "féminisme à bas bruit".

La couleur auburn de ses cheveux est celle qui suscite les foudres du colonel "Médart" dans le livre.

La petite unité que Mina pilote "c'est le laboratoire de ce qui deviendra ensuite le département des sciences du comportement, aujourd'hui intégré dans la division des Affaires non élucidées". Bien loin du "truc ésotérique magique", des "visions" ou "intuitions" que le grand public prête volontiers aux profileurs.

Selon Marie-Laure Brunel-Dupin, "c'est parce que rien n'est parfait qu'on peut parvenir à résoudre les crimes: les tueurs ne sont pas des surhommes supérieurement intelligents".

Face à leurs actes, elle admet ressentir, comme Mina, un sentiment "d'horreur", des émotions qui "parfois dévorent". Mais "ça vaut les coups encaissés" de "participer à la justice, de mettre hors d'état de nuire les tueurs et de répondre aux victimes".

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