En Inde, des villageois victimes de la montée des eaux désormais réfugiés climatiques

Vue aérienne prise le 27 février 2024 de Bagapatia où on été relogés les habitants de Satabhaya, un village côtier de l'est de l'Inde victime de la montée des eaux

Satabhaya (Inde) (AFP) - Banita Behra a vieilli en regardant, impuissante, la mer avancer sur Satabhaya, un village côtier en Inde, et engloutir peu à peu les terres environnantes, désertées par ses habitants désormais reconnus comme réfugiés climatiques.

"Nous nous en sortions bien là-bas. Nous pêchions du poisson", se souvient cette Indienne de 34 ans. "Mais la mer s'est approchée et a emporté nos maisons."

Satabhaya est l'un des villages les plus durement touchés de la côte est de l'Odisha, un Etat du golfe du Bengale qui a subi des cyclones et des inondations de plus en plus déchaînés ces dernières décennies.

La maison de Behra a disparu sous les eaux, désormais située à 400 mètres du nouveau rivage.

Certains de ses voisins n'ont pas voulu partir et survivent dans des cahutes au toit de chaume au bord de la mer, près des ruines d'un temple hindou dédié à Panchubarahi, une divinité censée protéger des catastrophes naturelles.

L'an dernier, le gouvernement de l'Odisha a annoncé débloquer des fonds pour qu'ils s'établissent à Bagapatia, à 12 kilomètres à l'intérieur des terres, dotant chaque famille d'un petit terrain et de 1.800 dollars pour bâtir une maison.

Selon les autorités, c'était le premier programme à destination des victimes du changement climatique en Inde.

Mais sans mer pour la pêche et sans terres pour l'agriculture à Bagapatia, les nouveaux venus déplorent la perte de leur autonomie. Nombre d'hommes ont préféré partir chercher un emploi d'ouvrier en dehors de l'Etat.

Employé désormais à l'autre bout du pays, le mari de Mme Behra est absent dix mois par an pour subvenir aux besoins de leurs deux enfants.

"Il nous manque, certains jours j'ai envie de pleurer", confie-t-elle. "Mais que pouvons-nous faire?"

\- "Les inondations s'intensifient" -

La hausse des températures liée à l’activité humaine a entraîné la fonte des calottes glaciaires polaires et la hausse du niveau des océans.

L'Odisha, où vivent des millions de personnes le long des côtes, est particulièrement vulnérable à la montée des eaux.

Le niveau de la mer dans tout l'Etat a augmenté en moyenne de 19 centimètres au cours des cinq décennies antérieures à 2015, selon des chercheurs de l'Université de Berhampur de l'Etat dans un article publié en 2022.

D'après Tamanna Sengupta, du centre de réflexion indien Centre pour la science et l'environnement, Odisha compte le plus grand nombre de villages gravement affectés par l'érosion côtière du pays.

"La fréquence et l'intensité croissantes" des cyclones et des inondations ont aggravé la crise dans la région, affirme-t-elle à l'AFP.

"Les habitants ont été déplacés et ceux qui restent risquent de perdre leurs maisons à cause des inondations qui s'intensifient", prévient Mme Sengupta.

\- "La mer engloutira tout" -

Les phénomènes météorologiques extrêmes devraient s'aggraver avec la hausse continue des températures, de 1,5 degré Celsius en moyenne au-dessus des niveaux préindustriels, selon les experts climatiques de l'ONU.

Plus d'un tiers de la côte de l'Etat est déjà érodée en raison du "changement climatique et de la pression anthropique", ajoute Susanta Nanda, responsable de la conservation des forêts de l'Odisha.

L'Inde, troisième émetteur mondial de dioxyde de carbone responsable de la hausse des températures mondiales, reste fortement dépendante du charbon pour sa production d'énergie.

L'urgence de protéger les communautés côtières à risque a été soulignée par les luttes de ceux qui sont déjà contraints de quitter leurs foyers, rappelle M. Nanda. "Il est très difficile pour les réfugiés climatiques de reconstruire leur vie".

Un rapport de 2017 sur la migration du Programme des Nations Unies pour le développement relève que la réussite de la relocalisation des communautés déplacées par le changement climatique dépendait d'une planification adéquate.

L'un des principaux problèmes restant "le manque d'emplois décents".

Jagbandhu Behra, 40 ans, n'a pas trouvé de travail après avoir quitté Satabhaya et s'est enfoncé plus loin en quête de terres plus vertes et cultivables, en vain. Ses perspectives restent sombres.

"Il n'y a aucune garantie que nous puissions survivre", dit-il à l'AFP. "Un jour, la mer engloutira tout ici aussi."

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