Slovaquie: un "loup solitaire" inculpé après l'attentat contre le Premier ministre

L'hôpital universitaire F. D. Roosevelt de Banska Bystrica, où le Premier ministre Robert Fico est opéré après avoir reçu de multiples coups de feu, le 15 mai 2024 en Slovaquie

By David STOUT, avec Sophie MAKRIS à Levice et Laszlo JUHASZ à Bratislava

Banska Bystrica (Slovaquie) (AFP) - La police slovaque a inculpé jeudi un retraité présenté comme un "loup solitaire" au lendemain d'un attentat "politique" contre le Premier ministre Robert Fico, qui se trouve toujours dans un état grave mais est "capable de parler".

L'attaque contre le dirigeant de 59 ans a réveillé les craintes dans ce pays d'Europe centrale extrêmement polarisé après des années de dissensions politiques.

Robert Fico a essuyé plusieurs tirs mercredi après-midi après un conseil des ministres délocalisé à Handlova, dans le centre de la Slovaquie.

Transporté par hélicoptère à l'hôpital de Banska Bystrica alors qu'il se trouvait "entre la vie et la mort", il souffre de multiples blessures et a subi une opération de plusieurs heures.

"Il peut parler mais seulement pour dire quelques phrases", a déclaré le président élu Peter Pellegrini, son allié de longue date, après s'être entretenu "quelques minutes" avec lui.

"Il est très, très fatigué. La situation est encore très critique" et "des jours difficiles" l'attendent.

\- "Motivations politiques" -

La police a arrêté sur les lieux du crime l'assaillant présumé, un homme de 71 ans identifié par les médias slovaques comme Juraj Cintula.

Il est poursuivi pour "tentative de meurtre avec préméditation", a annoncé le ministre de l'Intérieur Matus Sutaj Estok, évoquant une attaque "motivée par des considérations politiques".

"C'était un loup solitaire" qui a décidé de passer à l'acte "après les résultats du scrutin présidentiel" début avril, "dont il était mécontent", a-t-il détaillé.

Dans la petite ville tranquille de Handlova, Richard Krajcik, un habitant de 21 ans, n'arrive toujours pas à y croire.

Il espérait prendre un selfie avec le Premier ministre sur la place principale, lorsque des coups de feu ont retenti.

"Tout s'est passé si vite", raconte-t-il à l'AFP, en désignant l'endroit où Robert Fico a été pris pour cible la veille.

L'ancien chef de la police Stefan Hamran a mis en doute le dispositif de sécurité, fustigeant "la réaction tardive" des gardes du corps. "Au lieu de se jeter sur l'assaillant et de faire rempart de leur corps, ils ont essayé d'esquiver les balles".

\- Appels à l'apaisement -

Face au choc de l'attentat, la classe politique a appelé à l'apaisement dans un pays déchiré entre un gouvernement à tendance nationaliste favorable au Kremlin et ses rivaux pro-occidentaux.

M. Pellegrini a exhorté les partis à "suspendre temporairement" la campagne des élections européennes prévues le 8 juin, un appel largement suivi.

"La Slovaquie n'a pas besoin en ce moment de davantage de confrontation" et "d'accusations mutuelles", a déclaré le responsable, qui prendra ses fonctions en juin.

Dans le camp adverse, la présidente sortante Zuzana Caputova, présente à ses côtés, a également appelé à "sortir du cercle vicieux de la haine".

Après être revenu au pouvoir en octobre pour un quatrième mandat, Robert Fico a contribué à diviser la société avec sa rhétorique populiste anti-migrants, et dernièrement, favorable à Moscou.

Il a notamment décidé de mettre fin à l'aide militaire fournie par son pays à l'Ukraine.

Sa coalition gouvernementale a aussi adopté en avril un projet de loi controversé sur la radio et la télévision publiques, qui a provoqué des manifestations massives.

\- "Pris de folie" -

L'attaque a suscité la sidération dans le monde et abasourdi le pays de 5,4 millions d'habitants membre de l'Union européenne et de l'Otan. "Jetez des tomates ou des œufs si vous voulez, mais ne sortez pas une arme!", a réagi Karol Reichl, ancien chauffeur de 69 ans.

"La haine devrait cesser", s'inquiète Ingrid Pavlikova, 43 ans. "Peu importe à quel point il est détesté par les citoyens, personne ne mérite cela".

"C'est un tournant qui va secouer la société", a commenté pour l'AFP l'analyste Milan Nic, tandis que le politologue Miroslav Radek s'inquiétait d'un risque de "radicalisation" accrue de la classe politique.

Devant une barre d'immeubles de Levice, ville moyenne située à 80 km du site de l'attentat, l'identité du tireur a causé la stupéfaction.

"Il a dû être pris de folie", avance son voisin Ludovit Mile décrivant un homme "sympathique, serviable" qu'il connaît depuis 1983 et auquel il avait encore parlé lundi.

Juraj Cintula avait voulu créer un mouvement politique "contre la violence", dénonçant "le chaos" du monde. Auteur de plusieurs recueils de poèmes, il avait aussi co-fondé un club littéraire.

Si cet attentat est sans précédent, la Slovaquie a connu par le passé des épisodes politiques violents, notamment l'enlèvement en 1995 du fils du chef de l'Etat à l'époque, Michal Kovac, retrouvé en Autriche voisine.

Un ancien ministre, Jan Ducky, a par ailleurs été assassiné en 1999, devant son domicile à Bratislava.

© Agence France-Presse