"Semer la paix" : des peines inédites pour les criminels de guerre en Colombie

L'ancien général Henry Torres dans la pépinière où il travaille à la prison de Bogota, le 17 avril 2024 en Colombie

By Juan Sebastian SERRANO

Bogotá (AFP) - Assis sur un petit banc, l'ancien général colombien Henry Torres prend un moment de répit dans son travail. Planter des arbres fait désormais partie de sa peine pour les 303 meurtres perpétrés sous son commandement.

"Nous restaurons non seulement un écosystème, nous essayons aussi de minimiser le mal que nous avons causé", explique à l'AFP l'ancien commandant de 61 ans, responsable de centaines d'exécutions dont l'armée s'est servie pour gonfler les résultats du conflit armé.

Radié des forces armées pour ces crimes, il porte une tenue de travail comme n'importe quel employé de la pépinière où il travaille, près de la capitale Bogota.

La Colombie teste un programme inédit de justice réparatrice, baptisé "semer la paix", qui prévoit des sanctions alternatives à la prison pour les principaux responsables de crimes de guerre.

Issue de l'accord de paix historique de 2016 avec la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), l'initiative, à laquelle participent 46 anciens militaires, suscite la méfiance de certaines victimes.

"Planter des arbres... c'est absolument insuffisant, une sorte de moquerie", affirme Margarita Arteaga, dont le frère a été tué en 2007 par des hommes en uniforme qui l'ont présenté comme un criminel abattu lors d'un prétendu échange de coups de feu.

Entre 2002 et 2008, quelque 6.400 personnes ont été exécutées par des militaires en les présentant comme des criminels ou des rebelles, selon la Juridiction spéciale pour la paix (JEP), installée pour juger les pires crimes du conflit.

"Nous essayons de réconcilier notre société après une guerre très grave. C'est très nouveau et très complexe", note son président Roberto Vidal.

Sous le soleil, une douzaine d'hommes débroussaillent à la machette un terrain, avant de le replanter.

Parmi eux, l'ancien major Gustavo Soto, confronté en 2023 aux familles de 85 civils tués sous son commandement dans le département de Casanare (centre-est). "C'était assez difficile", se souvient-il.

\- pertes au combat -

Au début des années 2000, il participa à la lutte anti-insurrectionnelle du gouvernement de droite d'Alvaro Uribe (2002-2010).

"Malheureusement, ce qu'ils demandaient, c'était des résultats en termes de pertes au combat (...) c'est ainsi que nous étions évalués par le commandement supérieur", raconte l'homme de 52 ans, tout en tentant d'arracher un genêt épineux.

Les deux anciens militaires, Torres et Soto, ont été emprisonnés pour les meurtres dont ils ont été jugés responsables. La JEP leur a ensuite accordé la liberté en échange de leur témoignage et de leur participation à de telles initiatives.

Chaque jour, ils travaillent pendant cinq heures, sous la supervision de la JEP, un temps qu'il leur sera décompté de la peine maximale de huit ans d'emprisonnement que leur imposera le tribunal.

Mais pour Margarita Arteaga, les militaires ont "fait l'affaire de leur vie" en profitant de cet accord. Son frère, artisan et fan de punk, avait 31 ans en février 2007 lorsqu'il est arrivé dans la ville pétrolière de Casanare pour tenter sa chance en vendant des bijoux.

Un mois plus tard, des soldats l'ont enlevé dans un bar et l'ont exécuté dans une zone rurale. Il a demandé à être abattu de face, a survécu et a été achevé au sol, a appris sa sœur de la bouche du tueur lors d'une audience de la JEP en 2023.

"Je peux comprendre le symbolisme des arbres, mais cela ne constitue pas une réparation", estime la porte-parole de l'Association des victimes de Casanare pour la paix.

Elle met notamment en cause le fait que les coupables n'ont pas reconnu les actes de torture infligés à leurs victimes.

Deux autres initiatives de justice réparatrice sont en cours. Dans l'une, les participants reconstruisent un centre civique indigène. Dans l'autre, ils participent à des opérations de sensibilisation aux dangers des mines terrestres.

Mais pour Margarita Arteaga, il faut aller plus loin, comme organiser des visites dans les casernes "pour dire aux soldats en formation ce qu'ils ont fait et ce qui ne devrait pas se produire".

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